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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/222

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papier à en-tête du Métropole et timbrée, en gare d’Austerlitz, du 22, 19 heures… Partie hier soir, ma bien-aimée doit à cette heure être à Eyguzon, en train d’installer son laboratoire…

Un coup dur, cette lettre ; mais telle que je connais Aurore, avec son sens aigu et lancinant du devoir, sa conscience morale aussi peu américaine que la mienne, elle ne pouvait agir autrement, et je ne songe pas plus à lui en vouloir de respecter sa parole, que de considérer comme un bienfait du sort de n’avoir pu me revoir. Loin de me décourager, cette relecture achève de refouler les affres d’incertitude contre lesquelles je me suis débattu la nuit. J’ai, dans la réaffirmation de son amour pour moi, trop de motifs de me réjouir et d’espérer. L’intention bien arrêtée qu’elle prête à Cheyne d’exiger l’accomplissement de la promesse de mariage ne me déconcerte pas trop. Aurore ne sait sans doute pas encore ce que j’ai appris de Géo ; que Cheyne subit l’ascendant de Luce. Quoi qu’en pense Géo, la question d’intérêt ne pèsera pas lourd dans la balance, si Luce se met en tête de se faire épouser. Tout Américain américanissime qu’il est, Cheyne n’est pas Mormon et polygame (et d’ailleurs les Mormons ne sont plus polygames), donc, s’il épouse Luce de Ricourt, il rend sa parole à Aurore Lescure, qui devient libre… libre de suivre son penchant secret, libre de m’aimer sans refoulement, libre de m’épouser… Du train accéléré dont marchent les événements, si cela doit se faire, cela ne saurait tarder…