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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/49

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chiens et ses chats, prenait pour moi une valeur sentimentale unique. J’écoutais, avec la joie de pénétrer dans sa vie intime, et elle s’abandonnait à ses souvenirs, m’y associait, auditeur bénévole et émerveillé. Je parlais aussi, je crois, mais j’écoutais surtout ; j’écoutais, inlassable de ces histoires qui m’initiaient à son passé, me la rendaient plus proche et quasi fraternelle. De quelques mots, je l’excitais à poursuivre, avide uniquement de l’entendre, d’entendre sa voix qui émouvait en moi des résonances infinies.

J’en oubliais presque mon rôle de cicerone ; elle oubliait de « contempler » le paysage ; mais elle le percevait, l’absorbait sans y prendre garde ; d’un geste, je lui montrais une crique aux rochers blancs, un pin penché sur l’azur ; ou bien c’était elle, d’un autre geste, sans interrompre la causerie ; et cela suffisait à nous imbiber de beauté.

Ce fut alors que je commis la gaffe. Je nous sentais si bien à l’unisson que je la crus baignée dans les mêmes ondes que moi. Nous marchions depuis une heure ; nous nous étions assis sur l’isthme séparant la calanque de Port-Miou de celle de Port-Pin. Le massif du cap Canaille étalait devant nous sa fauve et grandiose silhouette dévorée de lumière, par dessus la baie indigo, et au second plan une pointe d’éclatants rocs calcaires. Ma compagne admirait de tous ses yeux. La splendeur du décor achevait, me semblait-il, d’abolir les distances conventionnelles, m’obligeait à parler.