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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/6

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assez développé, mais uniquement utilitaire. Elle estime mes tableaux, elle a confiance dans l’ascension future de leur valeur marchande, mais elle méprise ouvertement mon manque de roublardise qui retarde la hausse.

— Tonton, me répète-t-elle (car elle a fait de mon prénom ce gracieux diminutif ; et elle me tutoie, comme il y a dix ans, quand elle m’arrachait les cheveux par gentillesse), Tonton, tu n’es pas à la page ; tu as beau te croire jeune, tu es aussi fossile que ma noble mère, avec tes principes d’avant le déluge.

Ou encore :

— Mon pauvre vieux ! Ce qu’on se chamaillerait, nous deux, si jamais il me prenait la fantaisie de t’épouser !

C’est bien mon avis. Mais il n’y a aucune chance, heureusement : pas pressée de se marier, elle raille le sentimentalisme, regrette de ne pouvoir suivre les cours du professeur Morton, de New-York, pour devenir une « vamp » accomplie, et n’épousera jamais qu’un homme faisant beaucoup d’argent… « a money-making man »… un Américain, au moins de cœur, comme elle.

Avec moi, elle se contente de flirter, et profite des heures où je m’y laisse à moitié prendre, pour m’acheter, ou me faire acheter, soi-disant par sa mère, mes meilleures toiles, au rabais : ce sont, croit-elle, des placements or. Et cette opinion flatte assez mon amour-propre pour je lui pardonne la manœuvre, qui frise l’escroquerie sentimentale.