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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/68

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les narines imperceptiblement secouées de spasmes nerveux, tandis que je ruminais mon amertume. Je respectais son silence, me jugeant idiot de n’avoir pas plus d’esprit de société, de ne savoir pas la distraire par d’agréables niaiseries… Et c’était évidemment tout ce qu’elle pouvait attendre de moi, puisqu’elle me taisait ses secrets… Même pas capable de cela ! Quel triste compagnon je fais, décidément ! Ne regrette-t-elle pas de m’avoir laissé venir avec elle ?

Mais un incident ne tarda pas à provoquer le dénouement de la crise, en portant la tension à son paroxysme.

Nous nous taisions depuis dix minutes, en consumant des cigarettes. Soudain, elle se pencha vers moi :

— Ne regardez pas tout de suite ; mais là, sur ma droite, quatrième table, ces deux hommes qui causent, à la manière dont ils me regardent, ce doivent être des journalistes !

J’attendis trente secondes, et promenai autour de moi un coup d’œil nonchalant, sans paraître l’arrêter plus spécialement sur personne…

En effet, deux jeunes gens, à mine de courtiers cossus, avec un maladroit effort de dissimulation qui rendait encore la chose plus manifeste, s’occupaient de ma compagne. L’un d’eux, le Petit Marseillais à la main, montrait à l’autre le cliché de « miss Aurore Lescure devant son appareil ». Visiblement, tous deux comparaient les traits de l’image avec ceux de la jeune fille assise à mon côté ; et, par des hochements de tête, des