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poèmes


Un silence total ferme la plaine, au loin :
Le ciel indifférent voile ses clairs algèbres,
Et rien, pas même Dieu, ne semble être témoin.
Tous les mêmes, luisants de lierre et tous les mêmes
D’écorce et de rameaux, comme un effarement,
Sur double rang, là-bas, jusqu’aux horizons blêmes,
Muets et seuls, des arbres vont, infiniment.

— Un grand éclair nerveux, au bout d’un poing logique,
Et puis un râle, à peine ouï par les taillis —

Et de la gorge ouverte et tordue et tragique,
Un sang superbe et rouge, en légers gargouillis,
Coule, comme un ruisseau de corail parmi l’herbe
Et, du torse troué, s’épand sur le sol noir.
La voix assassinée éclate en bouche acerbe
Et les regards derniers fixent comme un espoir
Quelque chose, là-bas, qui serait la justice.