Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/23

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Les notables qui figuraient dans cette œuvre auraient blâmé publiquement le peintre d’avoir pris trop de liberté dans la conception et l’arrangement de son travail. Ils ne se seraient point reconnus dans tel ou tel personnage. La répartition des places n’aurait point été faite équitablement, d’autant qu’ils avaient payé chacun cent florins pour être au premier rang. Ce sont là des raisons superficielles. Si Rembrandt s’est brouillé avec ses concitoyens sur une question d’art et si cette brouille s’est perpétuée jusque vers la fin de sa vie, c’est qu’il y avait entre eux désaccord fondamental. La Ronde de nuit fut le prétexte et l’occasion. Le génie de Rembrandt fut la cause.

Cette discordance fatale entre les génies et leur milieu géographique prouverait à elle seule qu’ils n’en sont point l’expression.

Ils s’y manifestent comme des brouillons et des révoltés, comme des êtres farouches uniquement préoccupés de dire une vérité qu’eux seuls détiennent et dont leurs contemporains n’ont souci.

La plupart d’entre eux vivent et meurent comme Rembrandt, à l’écart, si pas à l’abandon, n’ayant d’espoir qu’en une élite qu’ils étonnent d’abord, qu’ils conquièrent et dominent ensuite. Sans elle, on les traiterait de fous, on les enfermerait.

L’élite qui sauva Rembrandt se composait de son ami le bourgmestre Six, du calligraphe Coppenol, du collectionneur Claes Berchem et des élèves du maître.

Rembrandt est un monstre aux yeux de la masse. Il vit