Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/24

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dans un monde supérieur et merveilleux que son imagination porte en elle et qui devient son vrai milieu à lui. La légende éternelle abolit ou plutôt absorbe son temps et son heure en un temps et une heure éternels.

Il crée des architectures profondes et folles, il se promène en des sites de songe, il vêt ses personnages de costumes baroques ou somptueux : les hommes en or, grands prêtres, rabins et rois surgissent dans son art ; il invente, comme Shakespeare, toute une région de chimère et de poésie, et tout comme Shakespeare, il reste, malgré ces débauches de rêve et de splendeur, aussi profondément et foncièrement humain qu’il est possible de l’être. Oui, tous ces fabuleux agencements de décors, de lumières et de toilettes, oui, toute cette ivresse qui semble le douer du vertige des voyants, ne le distraient point un seul instant de l’humanité éternelle. Il unit tous les contrastes en une œuvre, il mêle en un sujet la vérité la plus saignante et crue à la fantaisie la plus imprévue et la plus libre ; il est le passé, le présent, le futur ; il est, pour tout dire, un de ces vivants prodigieux et rarissimes où respire et se développe et se manifeste l’idée que les poètes aiment à se faire de quelque dieu, s’incarnant de siècle en siècle en des êtres surhumains.

Pour nous, l’homme de génie demeure un problème ouvert à la critique future. Il apparaît en marge de l’espèce.

Peut-être, en des milieux spécialement favorables, créerait-il une race nouvelle, grâce à l’heureuse déformation de son cerveau, se fixant d’abord, par un croisement pro-