Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/211

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conque ! Eh bien, autant ce métier-là qu’un autre quand on n’a pas le choix. Ce qu’il importe, c’est de gagner du temps. Si le Victoria vient à repasser, je profiterai de ma nouvelle position pour donner à mes adorateurs le spectacle d’une ascension miraculeuse. »

Pendant que Joe réfléchissait de la sorte, la foule se resserrait autour de lui ; elle se prosternait, elle hurlait, elle le palpait, elle devenait familière ; mais, au moins, elle eut la pensée de lui offrir un festin magnifique, composé de lait aigre avec du riz pilé dans du miel ; le digne garçon, prenant son parti de toutes choses, fit alors un des meilleurs repas de sa vie et donna à son peuple une haute idée de la façon dont les dieux dévorent dans les grandes occasions.

Lorsque le soir fut arrivé, les sorciers de l’île le prirent respectueusement par la main, et le conduisirent à une espèce de case entourée de talismans ; avant d’y pénétrer, Joe jeta un regard assez inquiet sur des monceaux d’ossements qui s’élevaient autour de ce sanctuaire ; il eut d’ailleurs tout le temps de réfléchir à sa position quand il fut enfermé dans sa cabane.

Pendant la soirée et une partie de la nuit, il entendit des chants de fête, les retentissements d’une espèce de tambour et un bruit de ferraille bien doux pour des oreilles africaines ; des chœurs hurlés accompagnèrent d’interminables danses qui enlaçaient la cabane sacrée de leurs contorsions et de leurs grimaces.

Joe pouvait saisir cet ensemble assourdissant à travers les murailles de boue et de roseau de la case ; peut-être, en toute autre circonstance, eût-il pris un plaisir assez vif à ces étranges cérémonies ; mais son esprit fut bientôt tourmenté d’une idée fort déplaisante. Tout en prenant les choses de leur bon côté, il trouvait stupide et même triste d’être perdu dans cette contrée sauvage, au milieu de pareilles peuplades. Peu de voyageurs avaient revu leur patrie, de ceux qui osèrent s’aventurer jusqu’à ces contrées. D’ailleurs pouvait-il se fier aux adorations dont il se voyait l’objet ! Il avait de bonnes raisons de croire à la vanité des grandeurs humaines ! Il se demanda si, dans ce pays, l’adoration n’allait pas jusqu’à manger l’adoré !

Malgré cette fâcheuse perspective, après quelques heures de réflexion, la fatigue l’emporta sur les idées noires, et Joe tomba dans un sommeil assez profond, qui se fût prolongé sans doute jusqu’au lever du jour, si une humidité inattendue n’eût réveillé le dormeur.

Bientôt cette humidité se fit eau, et cette eau monta si bien que Joe en eut jusqu’à mi-corps.

« Qu’est-ce là ? dit-il, une inondation ! une trombe ! un nouveau