Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divan pour s’y étendre. Je lui souhaite la bonne nuit, et il me quitte, après m’avoir gratifié d’un souhait identique.

Pour moi, enveloppé de ma couverture, accoté en quelque coin du pont, je dormirai comme un matelot qui n’est pas de quart.

Il n’est que huit heures. J’allume un cigare, et, les jambes écartées pour assurer mon aplomb contre le roulis, je commence à me promener le long des pavois. Le pont est déjà abandonné des passagers de première classe, et je m’y trouve à peu près seul. Sur la passerelle va et vient le second du navire, surveillant la direction qui a été donnée à l’homme de barre, placé près de lui au gouvernail. Les aubes des roues battent la mer avec violence, éclatant en une sorte de tonnerre, lorsque l’une ou l’autre tourne à vide. Une acre fumée tourbillonne à la collerette de la cheminée, qui projette des gerbes d’étincelles.

À neuf heures, la nuit est très obscure. J’essaie de relever au large quelque feu de bateau, sans y réussir, car la Caspienne est peu fréquentée. On n’entend que des cris d’oiseaux de mer, goélands et macreuses, qui s’abandonnent aux caprices du vent.

Pendant ma promenade, une pensée m’obsède : si le voyage allait s’accomplir sans que j’en pusse rien tirer pour mon journal… La direction m’en rendrait responsable, et elle aurait raison. Quoi ! pas une aventure de Tiflis à Pékin !… Ce serait ma faute, évidemment. Aussi suis-je décidé à tout pour éviter un tel malheur.

Il est dix heures et demie lorsque je viens m’asseoir sur un des bancs à l’arrière de l’Astara. Mais avec cette brise qui prend debout, il m’est impossible d’y demeurer.

Je me relève donc et marche vers l’avant, en me retenant au plat-bord. Sous la passerelle, entre les tambours, je suis si vivement secoué par le vent qu’il me faut chercher un abri le long des colis recouverts par le prélart. Étendu le long des caisses, serré dans ma couverture, la tête appuyée contre la toile goudronnée, je ne tarde pas à m’assoupir.

Après un certain temps, dont je n’ai point la notion exacte, je suis