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— Je ne sais trop, répondit Pierre. En tout cas, il s’approche lentement, et son feu est placé bien au ras de l’eau.

— C’est peut-être une cage ?… dit Jacques.

— Si c’est une cage, répliqua Rémy, raison de plus pour l’éviter ! Nous ne pourrions nous en débrouiller ! Allons, hale à bord ! »

En effet, le Champlain eût risqué de compromettre ses filets, si les frères Harcher ne se fussent hâtés de les ramener, sans même prendre le temps de dégager le poisson pris dans leurs mailles. Il n’y avait pas un instant à perdre, car le feu signalé ne se trouvait pas à plus de deux encâblures.

On appelle « cages », en Canada, des trains de bois, composés de soixante à soixante-dix « cribs », c’est-à-dire de sections, dont l’ensemble comprend au moins mille pieds cubes. À partir du jour où la débâcle rend le fleuve à la navigation, nombre de ces cages le descendent vers Montréal ou Québec. Elles viennent de ces immenses forêts de l’ouest, qui forment une des inépuisables richesses de la province canadienne. Qu’on se figure un assemblage flottant, émergeant de cinq à six pieds, comme un énorme ponton sans mâts. Il est composé de troncs, qui ont été équarris sur les lieux mêmes par la hache du bûcheron, ou débités en madriers et en planches par les scieries établies aux chutes des Chaudières, sur la rivière Outaouais. De ces trains, il en descend ainsi des milliers depuis le mois d’avril jusqu’au milieu d’octobre, évitant les sauts et les rapides au moyen de glissoires construites sur le fond d’étroits canaux à fortes pentes. Si quelques-unes de ces cages s’arrêtent à Montréal pour fournir au chargement des bâtiments qui les transportent dans les mers d’Europe, la plupart dérivent jusqu’à Québec.

Là est le centre de ces exploitations forestières, dont le rendement se chiffre chaque année par vingt-cinq à trente millions de francs au profit du commerce canadien.

Il va de soi que ces trains ne peuvent que gêner la navigation du fleuve, surtout lorsqu’ils s’engagent à travers les branches intermédiaires dont la largeur est souvent médiocre. Abandon-