Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/133

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nés au courant de jusant, tant qu’il dure, il est à peu près impossible de les diriger. C’est donc aux bâtiments, embarcations de pêche ou autres, de s’en garer, s’ils veulent ne point risquer des abordages qui leur causeraient de très graves avaries. On le comprend, les frères Harcher ne devaient pas hésiter à ramener leurs filets, jetés sur le passage de la cage, que l’accalmie les empêchait d’éviter.

Jacques ne s’était point trompé, c’était une cage qui descendait le fleuve. Un feu, placé à l’avant, indiquait la direction qu’elle suivait. Elle n’était plus qu’à une vingtaine de brasses, lorsque le Champlain eut fini de haler ses filets.

En ce moment, dans le silence de la nuit, une voix timbrée entonna cette vieille chanson du pays, qui est devenue, ainsi que le fait remarquer M. Réveillaud, un vrai chant national — il faut le dire, plutôt par l’air que par les paroles. Dans le chanteur, qui n’était autre que le patron de la cage, il était facile de reconnaître un Canadien d’origine française, rien qu’à son accent et à la façon très ouverte dont il prononçait la diphtongue « ai ».

Et il chantait ceci :

En revenant des noces,
J’étais bien fatigué,
À la claire fontaine,
J’allais me reposer…

Sans doute, Jean reconnut la voix du chanteur, car il s’approcha de Pierre Harcher, au moment où le Champlain abattait avec ses avirons pour éviter la cage.

« Accoste, lui dit-il.

— Accoster ?… répondit Pierre.

— Oui !… c’est Louis Lacasse.

— Nous allons dériver avec lui !…

— Cinq minutes, au plus, répondit Jean. Je n’ai que quelques mots à lui dire. »