Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/143

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ses yeux ne voyaient rien de ce qui eût autrefois attiré son attention, ni les couples d’élans qui s’en allaient sous bois, ni les oiseaux de mille sortes qui voltigeaient entre les arbres, ni le gibier qui filait par les sillons.

Quelques laboureurs étaient encore occupés aux travaux des champs. Il se détournait alors pour n’avoir point à répondre à leur salut cordial, voulant passer inaperçu à travers la campagne et revoir Chambly sans y être vu.

Il était sept heures, lorsque le clocher de l’église pointa entre la verdure. Encore une demi-lieue, et il serait arrivé. Les tintements de la cloche, apportés par le vent, arrivaient jusqu’à lui. Et, bien loin de s’écrier :

« Oui, c’est moi !… Moi, qui veux me retrouver au milieu de tout ce que j’ai tant aimé autrefois !… Je reviens au nid !… Je reviens au berceau !… »

Il se taisait, ne répondant qu’à lui-même, et se demandant avec épouvante :

« Que suis-je venu faire ici ? »

Cependant, aux tintements ininterrompus de cette cloche, Jean observa que ce n’était pas l’Angélus qui sonnait en ce moment. À quel office appelait-elle alors les fidèles de Chambly et à une heure si tardive ?

« Tant mieux ! se dit Jean. On sera à l’église !… Je n’aurai point à passer devant des portes ouvertes !… On ne me verra pas !… On ne me parlera pas !… Et, puisque je n’ai à demander l’hospitalité à personne, personne ne saura que je suis venu !… »

Il se disait cela, il continuait sa route, et, par instants, l’envie lui prenait de revenir sur ses pas. Non ! C’était comme une force invincible qui le poussait en avant.

À mesure qu’il s’approchait de Chambly, Jean regardait avec plus d’attention. Malgré les changements qui s’étaient opérés depuis douze ans, il reconnaissait les habitations, les enclos, les fermes établies aux abords de la bourgade.