Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/18

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Puis, se retournant, vers le ministre de la police :

« Si je ne me trompe, demanda-t-il, M. de Vaudreuil et ses amis ont déjà figuré dans les insurrections de 1832 et de 1835 ?

— En effet, répondit sir Gilbert Argall, ou, du moins, on a eu lieu de le supposer ; mais les preuves directes ont manqué, et il a été impossible de les poursuivre, ainsi qu’on l’avait fait lors du complot de 1825.

— Ce sont ces preuves qu’il importe de se procurer à tout prix, dit sir John Colborne, et, afin d’en finir, une fois pour toutes, avec les menées des réformistes, laissons-les s’engager plus avant. Rien d’abominable comme une guerre civile, je le sais ! Mais, s’il faut en arriver là, qu’on la fasse sans merci, et que la lutte se termine au profit de l’Angleterre ! »

Parler en ces termes était bien dans le rôle du commandant en chef des forces britanniques en Canada. Toutefois, si John Colborne était homme à réprimer une insurrection avec la dernière rigueur, s’immiscer dans ces surveillances occultes, qui sont du domaine spécial de la police, eût révolté son esprit militaire. Il suit de là que, depuis plusieurs mois, c’était uniquement aux agents de Gilbert Argall qu’était dévolu le soin d’observer sans répit les agissements du parti franco-canadien. Les villes, les paroisses de la vallée du Saint-Laurent, et plus particulièrement celles des comtés de Verchères, de Chambly, de Laprairie, de l’Acadie, de Terrebonne, des Deux-Montagnes, étaient incessamment parcourues par les nombreux détectives du ministre. À Montréal, à défaut de ces associations constitutionnelles, dont le colonel Gore regrettait la dissolution, le Doric Club — ses membres comptaient parmi les plus acharnés loyalistes — se donnait mission de réduire les insurgés par tous les moyens possibles. Aussi lord Gosford pouvait-il craindre qu’à tout instant, de jour ou de nuit, le choc vînt à se produire.

On comprend que, malgré ses tendances personnelles, l’entourage du gouverneur général le poussait à soutenir les bureaucrates — ainsi appelait-on les partisans de l’autorité de la Couronne —