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La figure de Jean-Sans-Nom, qui s’était animée un instant, reprit son calme habituel.

Clary le regardait avec une indéfinissable impression de tristesse. Elle aurait voulu pénétrer plus avant dans la vie du jeune patriote. Mais comment l’interroger, sans le blesser par quelque question indiscrète ?

Cependant, après lui avoir tendu sa main qu’il effleura à peine, elle dit :

« Jean, pardonnez-moi si ma sympathie pour vous me fait peut-être sortir de ma réserve que je devrais garder !… Il y a un mystère dans votre vie… tout un passé de malheurs !… Jean, vous avez beaucoup souffert ?…

— Beaucoup ! » répondit Jean.

Et, comme si cet aveu lui eût échappé involontairement, il ajouta aussitôt :

« Oui, beaucoup souffert… puisque je n’ai pas encore pu rendre à mon pays le bien qu’il est en droit d’attendre de moi !

— En droit d’attendre… répéta Mlle de Vaudreuil, en droit d’attendre de vous ?…

— Oui… de moi, répondit Jean, comme de tous les Canadiens, dont c’est le devoir de se sacrifier pour rendre à leur pays son indépendance ! »

La jeune fille avait compris ce qu’il y avait d’angoisses cachées sous cet élan de patriotisme !… Elle aurait voulu les connaître pour les partager, pour les adoucir peut-être !… Mais que pouvait-elle, puisque Jean persistait à se tenir dans des réponses évasives ?

Cependant, Clary crut devoir ajouter, sans manquer à la réserve que lui imposait la situation du jeune homme :

« Jean, j’ai l’espoir que la cause nationale triomphera bientôt !… Ce triomphe, elle le devra surtout à votre dévouement, à votre courage, à l’ardeur que vous aurez inspirée à ses partisans ! Alors, vous aurez droit à leur reconnaissance…

— Leur reconnaissance, Clary de Vaudreuil ? répondit Jean, en s’éloignant d’un mouvement brusque. Non !… jamais !