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Mais, c’était avec son clerc qu’il avait surtout maille à partir. Lionel — par malice — le traitait déjà comme s’il eût accepté la succession du Huron défunt. Il ne l’appelait plus maître Nick ! Fi donc ! Il ne lui parlait qu’à la troisième personne, en usant du langage emphatique des Indiens. Et, comme il convient à tout guerrier des Prairies, il lui avait donné le choix entre les surnoms de « Corne-d’Orignal » ou de « Lézard Subtil » — ce qui valait bien Œil-de-Faucon ou Longue-Carabine !

Vers onze heures, dans la cour de la ferme, se forma le cortège, qui devait accompagner les jeunes mariés. Ce fut vraiment bien ordonné et digne d’inspirer un jeune poète, si la muse de Lionel ne l’eût entraîné désormais à de plus hautes conceptions.

En tête marchaient Bernard Miquelon et Rose Harcher, l’un tenant le petit doigt de l’autre, tous deux charmants et rayonnants. Puis, M. et Mlle de Vaudreuil à côté de Jean ; après eux, les pères et mères, frères et sœurs des mariés ; enfin, maître Nick et son clerc, escortés des membres de la députation huronne. Le notaire n’avait pu se dérober à cet honneur. À l’extrême regret de Lionel, il ne manquait à son patron que le costume indigène, le tatouage du torse et le coloriage de la face pour représenter dignement la lignée des Sagamores.

Les cérémonies s’accomplirent avec toute la pompe que comportait la situation de la famille Harcher dans le pays. Il y eut grandes sonneries de cloches, grand accompagnement de chants et de prières, grandes détonations d’armes à feu. Et, dans ce bruyant concert de coups de fusils, les Hurons firent leur partie avec un à propos et un ensemble, auquel n’eût pas manqué d’applaudir Nathaniel Bumpoo, le célèbre ami des Mohicans.

De là, le cortège revint à la ferme, processionnellement, Rose Miquelon au bras de son mari, cette fois. Aucun incident n’avait troublé cette matinée.

Chacun alors se dispersa à sa fantaisie. Peut-être, maître Nick éprouva-t-il quelque peine, lorsqu’il voulut quitter ses frères maho-