Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/309

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lûmes-nous lui opposer quelque résistance. Elle pénétra dans Saint-Denis que les habitants durent abandonner. Plus de cinquante maisons ont été détruites par les flammes. Alors mes compagnons ont dû fuir pour ne point être égorgés par ces bourreaux, et gagner du côté de la frontière, où Papineau et autres attendaient à Plattsburg, à Rouse’s Point, à Swanton. Et maintenant, les soldats de Witherall et de Gore vont envahir les comtés au sud du Saint-Laurent, brûlant et dévastant, réduisant les enfants et les femmes à la mendicité, ne leur épargnant ni les mauvais traitements ni les affronts de toutes sortes, et l’on pourra suivre leurs traces à la lueur des incendies !… Voilà ce qui s’est passé, monsieur de Vaudreuil, et pourtant, je ne désespère pas, je ne veux pas désespérer de notre cause ! »

Un douloureux silence suivit le récit que Jean venait de faire. M. de Vaudreuil s’était laissé retomber sur son chevet.

Bridget prit la parole, et, s’adressant à son fils qu’elle regardait en face :

« Pourquoi es-tu ici ? dit-elle. Pourquoi n’es-tu pas où sont tes compagnons ?

— Parce que j’ai lieu de craindre que les royaux reviennent à Saint-Charles, que des perquisitions y soient faites, que l’incendie achève de dévorer ce qui reste de…

— Et peux-tu l’empêcher, Jean ?

— Non, ma mère !

— Eh bien, je le répète, pourquoi es-tu ici ?

— Parce que j’ai voulu voir s’il ne serait pas possible que M. de Vaudreuil quittât Maison-Close, qui ne sera pas plus épargnée que les autres habitations…

— Ce n’est pas possible !… répondit Bridget.

— Je resterai donc, ma mère, et je me ferai tuer en vous défendant…

— C’est pour le pays qu’il faut mourir, Jean, non pour nous ! répondit M. de Vaudreuil. Votre place est là où sont les chefs des patriotes…