Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseil législatif, puis, ce coup d’État accompli, provoquer un mouvement populaire dans les comtés du Saint-Laurent, installer un gouvernement provisoire en attendant que l’élection eût constitué le gouvernement national, enfin jeter les milices canadiennes contre l’armée régulière, tel avait été l’objectif de Walter Hodge, de Robert Farran, de François Clerc, de Vaudreuil.

La conspiration aurait réussi peut-être, si la trahison de l’un de leurs complices ne l’eût fait avorter.

À Walter Hodge et à ses partisans franco-canadiens s’était joint un certain Simon Morgaz, dont il convient de faire connaître la situation et l’origine. En 1825, Simon Morgaz était âgé de quarante-six ans. Avocat dans un pays où l’on compte encore plus d’avocats que de clients, comme aussi plus de médecins que de malades, il vivait assez péniblement à Chambly, petite bourgade, sur la rive gauche du Richelieu, à une dizaine de lieues de Montréal, de l’autre côté du Saint-Laurent.

Simon Morgaz était un homme résolu, dont l’énergie avait été remarquée, lorsque les réformistes protestèrent contre les agissements du cabinet britannique. Ses manières franches, sa physionomie prévenante, le rendaient sympathique à tous. Nul n’eût jamais pu soupçonner que la personnalité d’un traître se dégagerait un jour de ces dehors séduisants.

Simon Morgaz était marié. Sa femme, de huit années moins âgée que lui, avait alors trente-huit ans. Bridget Morgaz, d’origine américaine, était la fille du major Allen, dont on avait pu apprécier le courage pendant la guerre de l’Indépendance, alors qu’il comptait parmi les aides de camp de Washington. Véritable type de la loyauté dans ce qu’elle a de plus absolu, il eût sacrifié sa vie à la parole donnée avec la tranquillité d’un Régulus.

Ce fut à Albany, État de New-York, que Simon Morgaz et Bridget se rencontrèrent et se connurent. Le jeune avocat était franco-canadien de naissance, circonstance dont le major Allen devait tenir compte,