Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/348

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tence, rendue depuis vingt-quatre heures, n’avait point été exécutée, n’était-ce pas parce que le major Sinclair avait eu ordre de surseoir à l’exécution ? L’abbé Joann se rattacha à cette espérance. Pourtant que durerait ce sursis, et suffirait-il à préparer l’évasion du prisonnier ? Encore, le major Sinclair lui permettrait-il l’accès de la prison ? Enfin, qu’arriverait-il s’il ne consentait à faire appeler le prêtre qu’à l’heure où Jean-Sans-Nom marcherait au supplice ?

On comprend quelles angoisses torturaient l’abbé Joann, devant cette condamnation qui ne lui laissait plus le temps d’agir.

En ce moment, le sergent rentra dans le poste, et s’adressant au jeune prêtre :

« Le major Sinclair vous attend ! » dit-il.

Précédé du sergent dont le fanal éclairait ses pas, l’abbé Joann traversa la cour intérieure, au milieu de laquelle se dressait le blockhaus. Autant que le permettait l’obscurité, il cherchait à reconnaître l’étendue de cette cour, la distance qui séparait le poste de la poterne — seule issue par laquelle il fût possible de sortir du fort Frontenac, à moins d’en franchir l’enceinte palissadée. Si Jean ne connaissait pas la disposition des lieux, Joann voulait pouvoir la lui décrire.

La porte du blockhaus était ouverte. Le sergent d’abord, l’abbé Joann ensuite, y passèrent. Un planton la referma derrière eux. Puis, ils prirent par les marches d’un étroit escalier qui montait au premier étage et se développait dans l’épaisseur de la muraille. Arrivé au palier, le sergent ouvrit une porte qui se trouvait en face, et l’abbé Joann entra dans la chambre du commandant.

Le major Sinclair était un homme d’une cinquantaine d’années, rude d’écorce, dur de manières, très anglais par sa raideur, très saxon par le peu de sensibilité que lui inspiraient les misères humaines. Et peut-être eût-il même refusé au condamné l’assistance d’un prêtre, s’il n’avait reçu à cet égard des ordres qu’il ne se serait pas permis d’enfreindre. Aussi accueillit-il peu sympathiquement l’abbé Joann. Il ne se leva pas du fauteuil qu’il occupait, il n’aban-