Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/380

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« Si la rébellion n’a pas encore pu réussir, les réformes demandées se réaliseront par la force des choses. Le Canada recouvrera ses droits tôt ou tard, il conquerrera son autonomie, il ne dépendra plus que nominativement de l’Angleterre. Vous vivrez assez pour voir cela, monsieur de Vaudreuil. Nous nous retrouverons un jour avec votre chère Clary à la villa Montcalm, relevée de ses ruines. Et moi, j’y compte bien, j’aurai enfin dépouillé le manteau des Sagamores, qui ne va guère à mes épaules de notaire, pour retourner à mon étude de Montréal ! »

Puis, lorsque M. de Vaudreuil, dévoré d’inquiétudes au sujet de sa fille, en parlait à Thomas Harcher, le fermier lui répondait :

« Ne sommes-nous pas de votre famille, notre maître ? Si vous craignez pour Mlle Clary, pourquoi ne la faites-vous pas conduire près de ma femme Catherine ? Là, à la ferme de Chipogan, elle serait en sûreté, et vous l’y rejoindriez, quand les circonstances le permettraient ! »

Mais M. de Vaudreuil ne se faisait plus d’illusion sur son état. Aussi, se sachant mortellement atteint, il résolut d’assurer l’avenir de Clary dans les conditions qu’il avait toujours désirées.

Comme il connaissait l’amour de Vincent Hodge pour sa fille, il devait croire que cet amour serait partagé. Jamais il n’eût soupçonné que le cœur de Clary fût rempli de la pensée d’un autre. Sans doute, en songeant à l’abandon où la laisserait la mort de son père, elle sentirait la nécessité d’un appui en ce monde. Et en était-il un plus sûr que l’amour de Vincent Hodge, déjà uni à elle par les liens du patriotisme ?

M. de Vaudreuil résolut dès lors d’agir dans ce sens, afin d’arriver à la réalisation de son vœu le plus cher. Il ne doutait pas des sentiments de Vincent Hodge, il ne pouvait douter des sentiments de Clary. Il les mettrait en présence l’un de l’autre, il leur parlerait, il joindrait leurs mains. Et alors, au moment de mourir, il n’aurait plus qu’un seul regret — le regret de n’avoir pu rendre l’indépendance à son pays.