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— Non, mon père.

— Et pourquoi ?…

— Parce que ma vie est à un autre !

— Un autre ?… s’écria Vincent Hodge, qui ne fut pas maître de ce mouvement de jalousie.

— Ne soyez pas jaloux, Hodge ! répondit la jeune fille. Pourquoi le seriez-vous, mon ami ? Celui que j’aime et à qui je n’ai jamais rien dit de mon affection, celui qui m’aimait et qui jamais ne me l’a dit, celui-là n’est plus ! Peut-être, même s’il eût vécu, n’aurais-je pas été sa femme ! Mais il est mort, mort pour son pays, et je resterai fidèle à sa mémoire…

— C’est donc Jean ?… s’écria M. de Vaudreuil.

— Oui, mon père, c’est Jean… »

Clary n’avait pu achever sa réponse.

« Morgaz !… Morgaz !… » tel fut le nom qui retentit en ce moment au milieu de clameurs encore éloignées. En même temps, il se faisait un tumulte de foule. Cela venait du nord de l’île, et précisément le long de la rive du Niagara sur laquelle s’élevait la maison de M. de Vaudreuil.

À ce nom bruyamment jeté, qui complétait celui de Jean, Clary devint effroyablement pâle.

« Quel est ce bruit ? dit M. de Vaudreuil.

— Et pourquoi ce nom ? » demanda Vincent Hodge.

Il se leva, et, se dirigeant vers la fenêtre encore ouverte, il se pencha au dehors.

La rive s’éclairait de vives clartés. Une centaine de patriotes, dont quelques-uns portaient des torches d’écorce de bouleau ou de hêtre, s’avançaient sur la berge.

Il y avait là des hommes, des femmes, des enfants. Tous, hurlant le nom maudit de Morgaz, se pressaient autour d’une vieille femme, qui ne pouvait échapper à leurs insultes, car elle avait à peine la force de se traîner.

C’était Bridget.