Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/49

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— C’est qu’il ne s’agit point d’un acte, ne vous déplaise ! maître Nick.

— De quoi s’agit-il donc ?

— D’une pièce de poésie que j’ai composée pour le concours de la Lyre-Amicale !

— La Lyre-Amicale ! s’écria le notaire. Est-ce que tu t’imagines, Lionel, que c’est pour figurer au concours de la Lyre-Amicale ou toute autre société parnassienne que je t’ai accueilli dans mon étude ?… Est-ce pour t’abandonner à tes ardeurs versificatrices que j’ai fait de toi mon second clerc ? Mais, alors, autant vaudrait passer ton temps à canoter sur le Saint-Laurent, à promener ton dandysme dans les allées du Mont-Royal ou du parc de Sainte-Hélène ! En vérité, un poète dans le notariat !… Une tête de clerc au milieu d’un nimbe !… Il y aurait de quoi mettre les clients en fuite !

— Ne vous fâchez pas, maître Nick ! répondit Lionel d’un ton piteux. Si vous saviez combien la poésie s’accommode de notre mélodieuse langue française ! Elle se prête si noblement au rythme, à la cadence, à l’harmonie !… Nos poètes, Lemay, Elzéar Labelle, François Mons, Chapemann, Octave Crémazie…

— Messieurs Crémazie, Chapemann, Mons, Labelle, Lemay, ne remplissent pas les importantes fonctions de second clerc que je sache ! Ils ne sont pas payés, sans compter la table et le logement, six piastres par mois — et par moi ! — ajouta maître Nick, enchanté de son jeu de mot. Ils n’ont point à rédiger des contrats de vente ou des testaments et ils peuvent pindariser à leur fantaisie !

— Maître Nick… pour une fois…

— Eh bien ! soit… pour une fois, tu as voulu être lauréat de la Lyre-Amicale ?

— Oui, maître Nick, j’ai eu cette folle présomption !

— Et pourrais-je savoir quel est le sujet de ta poésie ?… Sans doute quelque évocation dithyrambique à Tabellionoppe, la muse du parfait notaire ?…

— Oh ! fit Lionel, en protestant du geste.