Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/48

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encore, de type très français, était charmante, avec des cheveux blonds, un peu longs peut-être, et des yeux bleus rappelant l’eau des grands lacs canadiens. S’il n’avait plus ni père ni mère, on peut dire que maître Nick lui servait de l’un et de l’autre, car cet estimable notaire l’aimait comme s’il eut été son fils.

Lionel était seul dans l’étude. À cette heure, personne. Pas un des autres clercs, occupés alors aux courses du dehors, pas même un client, bien que l’office de maître Nick fût un des plus fréquentés de la ville. Aussi, Lionel, se croyant sûr de ne point être dérangé, en prenait-il à son aise, et il venait d’encadrer son nom dans un paraphe mirifique au-dessous de la dernière ligne tracée au bas de la page, quand il s’entendit interpeller :

« Eh ! que fais-tu là, mon garçon ? »

C’était maître Nick, que le jeune clerc n’avait point entendu entrer, tant il s’absorbait dans son travail de contrebande.

Le premier mouvement de Lionel fut d’entr’ouvrir un sous-main, afin d’y glisser le papier en question ; mais le notaire saisit prestement la feuille suspecte, en dépit du jeune garçon qui cherchait vainement à la reprendre.

« Qu’est-ce que cela, Lionel ? demanda-t-il. Une minute… une grosse… une copie de contrat ?…

— Maître Nick, croyez bien que… »

Le notaire avait mis ses lunettes et, le sourcil froncé, parcourait la page d’un œil stupéfait.

« Que vois-je là ? s’écria-t-il. Des lignes inégales ?… Des blancs d’un côté !… Des blancs de l’autre !… Tant de bonne encre perdue, tant de bon papier gaspillé en marges inutiles !

— Maître Nick, répondit Lionel, rougissant jusqu’aux oreilles… cela m’est venu… par hasard.

— Qu’est-ce qui t’est venu… par hasard ?

— Des vers…

— Des vers !… Voilà que tu rédiges en vers ?… Ah ça ! est-ce que la prose ne suffit pas pour libeller un acte ?