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cap à l’ouest.

et peut-être des humains ne peuvent-ils que perdre à s’isoler ainsi de l’humanité.

Ah ça ! ils ne voyagent donc pas à l’étranger, les habitants de cette île factice ? Ils ne vont donc jamais visiter les pays d’outremer, les grandes capitales de l’Europe ? Ils ne parcourent donc pas les contrées auxquelles le passé a légué tant de chefs-d’œuvre de toutes sortes ? Si ! Il en est quelques-uns qu’un certain sentiment de curiosité pousse en des régions lointaines. Mais ils s’y fatiguent ; ils s’y ennuient pour la plupart ; ils n’y retrouvent rien de l’existence uniforme de Standard-Island ; ils y souffrent du chaud ; ils y souffrent du froid ; enfin, ils s’y enrhument, et on ne s’enrhume pas à Milliard-City. Aussi n’ont-ils que hâte et impatience de réintégrer leur île, ces imprudents qui ont eu la malencontreuse idée de la quitter. Quel profit ont-ils retiré de ces voyages ? Aucun. « Valises ils sont partis, valises ils sont revenus », ainsi que le dit une ancienne formule des Grecs, et nous ajoutons : ils resteront valises.

Quant aux étrangers que devra attirer la célébrité de Standard-Island, cette neuvième merveille du monde, depuis que la tour Eiffel, — on le dit du moins, — occupe le huitième rang, Calistus Munbar pense qu’ils ne seront jamais très nombreux. On n’y tient pas autrement, d’ailleurs, bien que ses tourniquets des deux ports eussent été une nouvelle source de revenus. De ceux qui sont venus l’année dernière, la plupart étaient d’origine américaine. Des autres nations, peu ou point. Cependant, il y a eu quelques Anglais, reconnaissables à leur pantalon invariablement relevé, sous prétexte qu’il pleut à Londres. Au surplus, la Grande-Bretagne a très mal envisagé la création de cette Standard-Island, qui, à son avis, gêne la circulation maritime, et elle se réjouirait de sa disparition. Quant aux Allemands, ils n’obtiennent qu’un médiocre accueil comme des gens qui auraient vite fait de Milliard-City une nouvelle Chicago, si on les y laissait prendre pied. Les Français sont de tous les étrangers ceux que la Compagnie accepte avec le plus de sympathies et de prévenances, étant donné qu’ils n’appartiennent pas aux races envahis-