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l’île à hélice.

— D’où je conclus, reprend son Altesse, qu’Adam et Ève n’ont éternué que le jour où ils ont porté robes et pantalons, après avoir été chassés du Paradis terrestre, — ce qui nous a valu, à nous, leurs enfants dégénérés et responsables, des fluxions de poitrine !

— Monsieur le gouverneur, interroge Yvernès, il nous a semblé que les femmes étaient moins belles que les hommes dans cet archipel…

— Ainsi que dans les autres, répond Cyrus Bikerstaff, et ici, cependant, vous voyez le type le plus accompli des Océaniennes. N’est-ce pas, d’ailleurs, une loi de nature commune aux races qui se rapprochent de l’état sauvage ? N’en est-il pas ainsi du règne animal, où la faune, au point de vue de la beauté physique, nous montre presque invariablement les mâles supérieurs aux femelles ?

— Eh ! s’écrie Pinchinat, il faut venir aux antipodes pour faire de pareilles observations, et voilà ce que nos jolies Parisiennes ne voudront jamais admettre ! »

Il n’existe que deux classes dans la population de Nouka-Hiva, et elles sont soumises à la loi du tabou. Cette loi fut inventée par les forts contre les faibles, par les riches contre les pauvres, afin de sauvegarder leurs privilèges et leurs biens. Le tabou a le blanc pour couleur, et aux objets taboués, lieu sacré, monument funéraire, maisons de chefs, les petites gens n’ont pas le droit de toucher. De là, une classe tabouée, à laquelle appartiennent les prêtres, les sorciers ou touas, les akarkis ou chefs civils, et une classe non tabouée, où sont relégués la plupart des femmes ainsi que le bas peuple. En outre, non seulement il n’est pas permis de porter la main sur un objet protégé par le tabou, mais il est même interdit d’y porter ses regards.

« Et cette règle, ajoute Cyrus Bikerstaff, est si sévère aux Marquises, comme aux Pomotou, comme aux îles de la Société, que je ne vous conseillerais pas, messieurs, de jamais l’enfreindre.

— Tu entends, mon brave Zorn ! dit Frascolin. Veille à tes mains, veille à tes yeux ! »