Page:Verne - L'Île à hélice, Hetzel, 1895.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
puissance d’une sonate cacophonique.

détonation sèche… le rapide sifflement d’une balle… ne va-t-on pas la voir… ne va-t-on pas l’entendre ?… En de tels endroits, évidemment disposés pour une attaque nocturne, un guet-apens est tout indiqué. Si, par bonheur, on ne doit pas prendre contact avec les bandits, c’est que cet estimable type a totalement disparu de l’Ouest-Amérique, ou qu’il s’occupe alors d’opérations financières sur les marchés de l’ancien et du nouveau continent !… Quelle fin pour les arrière-petits-fils des Karl Moor et des Jean Sbogar ! À qui ces réflexions doivent-elles venir si ce n’est à Yvernès ? Décidément, — pense-t-il, — la pièce n’est pas digne du décor !

Tout à coup Pinchinat reste immobile.

Frascolin qui le suit en fait autant.

Sébastien Zorn et Yvernès les rejoignent aussitôt.

« Qu’y a-t-il ?… demande le deuxième violon.

— J’ai cru voir… » répond l’alto.

Et ce n’est point une plaisanterie de sa part. Très réellement une forme vient de se mouvoir entre les arbres.

« Humaine ou animale ?… interroge Frascolin.

— Je ne sais. »

Lequel eût le mieux valu, personne ne se fût hasardé à le dire. On regarde, en groupe serré, sans bouger, sans prononcer une parole.

Par une éclaircie des nuages, les rayons lunaires baignent alors le dôme de cette obscure forêt et, à travers la ramure des séquoias, filtrent jusqu’au sol. Les dessous sont visibles sur un rayon d’une centaine de pas.

Pinchinat n’a point été dupe d’une illusion. Trop grosse pour un homme, cette masse ne peut être que celle d’un quadrupède de forte taille. Quel quadrupède ?… Un fauve ?… Un fauve à coup sûr… Mais quel fauve ?…

« Un plantigrade ! dit Yvernès.

— Au diable l’animal, murmure Sébastien Zorn d’une voix basse mais impatientée, et par animal, c’est toi que j’entends, Yvernès !…