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l’île à hélice.

Ne peux-tu donc parler comme tout le monde ?… Qu’est-ce que c’est que ça, un plantigrade ?

— Une bête qui marche sur ses plantes ! explique Pinchinat.

— Un ours ! » répond Frascolin.

C’est un ours, en effet, un ours grand module. On ne rencontre ni lions, ni tigres, ni panthères dans ces forêts de la Basse-Californie. Les ours en sont les hôtes habituels, avec lesquels les rapports sont généralement désagréables.

On ne s’étonnera pas que nos Parisiens aient, d’un commun accord, l’idée de céder la place à ce plantigrade. N’était-il pas chez lui, d’ailleurs… Aussi le groupe se resserre-t-il, marchant à reculons, de manière à faire face à la bête, lentement, posément, sans avoir l’air de fuir.

La bête suit à petits pas, agitant ses pattes antérieures comme des bras de télégraphe, se balançant sur les hanches comme une manola à la promenade. Graduellement elle gagne du terrain, et ses démonstrations deviennent hostiles, — des cris rauques, un battement de mâchoires qui n’a rien de rassurant.

« Si nous décampions, chacun de son côté ?… propose Son Altesse.

— N’en faisons rien ! répond Frascolin. Il y en aurait un de nous qui serait rattrapé, et qui paierait pour les autres ! »

Cette imprudence ne fut pas commise, et il est évident qu’elle aurait pu avoir des conséquences fâcheuses.

Le quatuor arrive ainsi, en faisceau, à la limite d’une clairière moins obscure. L’ours s’est rapproché – une dizaine de pas seulement. L’endroit lui paraît-il propice à une agression ?… C’est probable, car ses hurlements redoublent, et il hâte sa marche.

Recul précipité du groupe, et recommandations plus instantes du deuxième violon :

« Du sang-froid… du sang-froid, mes amis ! »

La clairière est traversée, et l’on retrouve l’abri des arbres. Mais là, le danger n’est pas moins grand. En se défilant d’un tronc à un