Tous les dimanches, ainsi qu’il avait été convenu, Tartelett revêtait ses plus beaux habits. Ce jour-là, il ne songeait qu’à se promener sous les grands arbres, en jouant de sa pochette. Il faisait des pas de glissades, se donnant des leçons à lui-même, puisque son élève avait positivement refusé de continuer son cours.
« À quoi bon ? répondait Godfrey aux instances du professeur. Imaginez-vous, pouvez-vous imaginer un Robinson prenant des leçons de danse et de maintien ?
— Et pourquoi pas ? reprenait sérieusement Tartelett, pourquoi un Robinson serait-il dispensé de bonne tenue ? Ce n’est pas pour les autres, c’est pour soi-même qu’il convient d’avoir de belles manières ! »
À cela Godfrey n’avait rien à répondre. Pourtant, il ne se rendit pas, et le professeur en fut réduit à « professer à blanc ».
Le 13 septembre fut marqué par une des plus grandes, une des plus tristes déceptions que puissent éprouver les infortunés qu’un naufrage a jetés sur une île déserte.
Si Godfrey n’avait jamais revu en un point quelconque de l’île les fumées inexplicables et introuvables, ce jour-là, vers trois heures du soir, son attention fut attirée par une longue vapeur, sur l’origine de laquelle il n’y avait pas à se tromper.
Il était allé se promener jusqu’à l’extrémité de Flag-Point, — nom qu’il avait donné au cap sur lequel s’élevait le mât de pavillon. Or, voilà qu’en regardant à travers sa lunette, il aperçut au-dessus de l’horizon une fumée que le vent d’ouest rabattait dans la direction de l’île.
Le cœur de Godfrey battit avec violence :
« Un navire ! » s’écria-t-il.
Mais ce navire, ce steamer, allait-il passer en vue de l’île Phina ? Et, s’il passait, s’en approcherait-il assez pour que des signaux pussent être vus ou entendus de son bord ? Ou bien cette fumée, à peine entrevue, allait-elle disparaître avec le bâtiment dans le nord-ouest ou dans le sud-ouest de l’horizon ?
Pendant deux heures, Godfrey fut en proie à des alternatives d’émotions plus faciles à indiquer qu’à décrire.
En effet, la fumée grandissait peu à peu. Elle s’épaississait, lorsque le steamer forçait ses feux, puis elle diminuait au point de disparaître, lorsque la pelletée de charbon était consumée. Toutefois le navire se rapprochait