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aventures de kalumah.

la tortura bientôt. L’épuisement, la fatigue rendirent sa pagaie inerte entre ses mains.

Pendant plusieurs heures, elle lutta, et il lui sembla qu’elle se rapprochait de l’île, d’où l’on ne pouvait l’apercevoir, car elle n’était qu’un point sur cette immense mer. Elle lutta, même lorsque ses bras rompus, ses mains ensanglantées lui refusèrent tout service ! Elle lutta jusqu’au bout et perdit enfin connaissance, tandis que son frêle kayak, abandonné, devenait le jouet du vent et des flots !

Que se passa-t-il alors ? Elle ne put le dire, ayant perdu connaissance. Combien de temps erra-t-elle ainsi, à l’aventure, comme une épave ? Elle ne le savait, et ne revint au sentiment que lorsque son kayak, brusquement choqué, s’ouvrit sous elle.

Kalumah fut plongée dans l’eau froide dont la fraîcheur la ranima, et quelques instants plus tard, une lame la jetait mourante sur une grève de sable.

Cela s’était fait dans la nuit précédente, à peu près au moment où l’aube apparaissait, c’est-à-dire de deux à trois heures du matin.

Depuis le moment où Kalumah s’était précipitée dans son embarcation jusqu’au moment où cette embarcation fut submergée, il s’était donc écoulé plus de soixante-dix heures !

Cependant, la jeune indigène, sauvée des flots, ne savait sur quelle côte l’ouragan l’avait portée. L’avait-il ramenée au continent ? L’avait-il dirigée, au contraire, sur cette île qu’elle poursuivait avec tant d’audace ? Elle l’espérait ! Oui ! elle l’espérait ! D’ailleurs, le vent et le courant avaient dû l’entraîner au large et non la repousser à la côte !

Cette pensée la ranima. Elle se releva et, toute brisée, se mit à suivre le rivage.

Sans s’en douter, la jeune indigène avait été providentiellement jetée sur cette portion de l’île Victoria qui formait autrefois l’angle supérieur de la baie des Morses. Mais, dans ces conditions, elle ne pouvait reconnaître ce littoral, corrodé par les eaux, après les changements qui s’y étaient produits depuis la rupture de l’isthme.

Kalumah marcha, puis, n’en pouvant plus, s’arrêta, et reprit avec un nouveau courage. La route s’allongeait devant ses pas. À chaque mille, il lui fallait tourner les parties du rivage déjà envahies par la mer. C’est ainsi que, se traînant, tombant, se relevant, elle arriva non loin du petit taillis qui, le matin même, avait servi de lieu de halte à Mrs. Paulina Barnett et à Madge. On sait que les deux femmes, se dirigeant vers le cap Esquimau, avaient rencontré non loin de ce taillis la trace de ses pas empreints sur la neige. Puis, à quelque distance, la pauvre Kalumah était tombée une dernière fois !