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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

raison n’était pas revenue à l’infortunée Myra. Ses lèvres ne s’ouvraient que pour des paroles incohérentes, ses yeux hagards ne se fixaient sur personne. Elle ne nous entendait pas. Elle ne reconnaissait ni sa mère, ni Marc, qui fut bientôt capable de venir rejoindre Mme Roderich au chevet de la malade, dans cette chambre de jeune fille, si joyeuse autrefois, si triste à présent. Était-ce un délire passager, une crise dont les soins triompheraient ? Était-ce une folie incurable ? Qui l’eût pu dire ?

Sa faiblesse était extrême, comme si les ressorts de la vie eussent été brisés en elle. Étendue sur son lit, presque sans mouvement, à peine si elle esquissait parfois un geste de la main. On était en droit de se demander alors si elle ne cherchait pas à déchirer ce voile de l’inconscience qui l’enveloppait, si elle n’essayait pas de manifester sa volonté. Marc se penchait, il lui parlait, il s’efforçait de surprendre une réponse sur ses lèvres, un signe dans ses yeux… Mais les yeux restaient fermés, et la main, à peine soulevée, retombait aussitôt.

Mme Roderich se soutenait par une extraordinaire force morale. À peine si elle donnait quelques heures au repos, parce que son mari l’y obligeait, et quel sommeil troublé par les cauchemars, interrompu au moindre bruit ! Elle croyait entendre marcher dans sa chambre. Malgré les précautions prises, elle se disait qu’il était là, lui, l’ennemi insaisissable, invisible, qu’il avait pénétré dans l’hôtel, qu’il rôdait autour de sa fille !… Elle se relevait épouvantée, et ne retrouvait un peu de tranquillité qu’après avoir vu le docteur ou Marc veillant au chevet de Myra. Si cette situation se prolongeait, il lui serait impossible d’y résister.

Chaque jour, plusieurs des confrères du docteur Roderich venaient en consultation. La malade longuement et minutieusement examinée, on n’avait pu se prononcer sur cette inertie intellectuelle. Pas de réaction, pas de crise. Non, une indifférence à toutes les choses extérieures, une inconscience complète, une tranquillité de morte, devant laquelle l’art demeurait impuissant.