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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

Qu’en conclure, sinon, que Wilhelm Storitz, grisé par la toute puissance qu’il s’attribuait, en arrivait à des gestes, d’insensé, qu’il glissait à la folie ? C’était là une éventualité favorable et que l’examen des faits ; tendait à rendre plausible.

C’est en vertu de ces divers raisonnements que j’allai trouver M. Stepark. Je lui fis part de mes réflexions, et, d’un commun accord, il fut décidé que la maison du boulevard Tékéli serait gardée jour et nuit par un cordon d’agents de police ou de soldats, de telle sorte qu’il fût matériellement impossible à son propriétaire de s’y introduire. Ainsi, ce dernier serait privé à la fois de son laboratoire et de sa réserve secrète, si tant est que celle-ci existât. Il serait donc condamné par la force des choses, soit à reprendre l’apparence humaine dans un délai plus ou moins long, soit à rester éternellement invisible, ce qui, le cas échéant, pourrait devenir pour lui une cause de faiblesse. Nul doute d’ailleurs, si l’hypothèse d’une folie naissante était fondée, que cette folie ne fût surexcitée par les obstacles opposés au dément, et que celui-ci n’en vint à commettre des imprudences qui nous le livreraient désarmé.

M. Stepark ne fit aucune difficulté pour me donner satisfaction. Lui aussi, mais pour d’autres motifs, il avait déjà pensé à isoler la maison de Wilhelm Storitz. Il jugeait cette mesure propre à calmer dans une certaine mesure la ville, si tranquille d’ordinaire, heureuse au point d’être enviée des autres cités magyares, et maintenant troublée au delà de toute imagination. Je ne saurais mieux la comparer qu’à une ville d’un pays envahi, sous la crainte perpétuelle du bombardement, alors que chacun se demande où tombera le premier boulet, et si sa maison ne sera pas la première détruite.

En effet, que n’avait-on pas à redouter de Wilhelm Storitz puisqu’il n’avait point quitté la ville, ainsi qu’il avait pris soin lui-même, de le faire connaître à tous ?

À l’hôtel Roderich, la situation était encore plus grave. La