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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

Le lieutenant répondit par un geste d’ignorance. Où on allait ?… Au hasard, sans doute. Et le hasard n’était-il pas, en effet, le plus sûr guide que nous puissions suivre ?

Au bout de quelques pas, le capitaine Haralan, s’arrêtant brusquement, demanda d’une voix brève :

— Quelle heure est-il ?

— Neuf heures et quart, répondit son ami après avoir consulté sa montre.

Nous nous remîmes en route.

Nous marchions d’un pas incertain, sans échanger une parole. Après avoir traversé la place Magyare et remonté la rue du Prince Miloch, nous fîmes le tour de la place Saint-Michel sous ses arcades. Parfois, le capitaine Haralan s’arrêtait comme si ses pieds eussent été cloués au sol, et de nouveau il demandait l’heure. « Neuf heures vingt-cinq, neuf heures et demie, dix heures moins vingt », répondit successivement son camarade. Sitôt le renseignement obtenu, le capitaine reprenait sa marche indécise.

Tournant à gauche, nous passâmes derrière le chevet de la cathédrale. Après une courte hésitation, le capitaine Haralan s’engagea dans la rue Bihar.

Il était comme mort, ce quartier aristocratique de Ragz ; à peine quelques passants hâtifs, la plupart des hôtels fenêtres closes, ainsi qu’en un jour de deuil public.

À l’extrémité de la rue, le boulevard Tékéli nous apparut dans toute son étendue. Il était désert ou plutôt déserté. On le fuyait depuis l’incendie de la maison Storitz.

Quelle direction allait choisir le capitaine Haralan, vers le haut de la ville, du côté du château, ou vers le quai Batthyani, du côté du Danube ?

Une fois de plus, il s’était arrêté, comme incertain du parti qu’il devait prendre. La question habituelle tomba de ses lèvres :

— Quelle heure est-il, Armgard ?