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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

à l’évidence. Hermann était de bonne foi et disait la vérité. Son ignorance était sincère. Dès lors, nous devions perdre tout espoir de revoir jamais la malheureuse Myra.

Quelle triste fin de journée nous passâmes ! Écroulés dans des fauteuils, accablés de tristesse, nous laissions couler le temps sans prononcer une parole. Qu’aurions-nous pu nous dire, en effet, qui n’eût été dit et redit cent fois ?

Un peu avant huit heures, un domestique apporta les lampes. Il n’y avait alors dans le salon, le docteur Roderich étant encore près de sa femme, que les deux officiers, mon frère et moi. Comme le domestique sortait, son service terminé, la pendule commença à égrener ses huit coups.

À ce moment précis, la porte de la galerie s’ouvrit assez vivement. Sans doute, quelque courant d’air venu du jardin l’avait poussée, car je ne vis personne. Par exemple, ce qu’il y eut de plus extraordinaire, c’est qu’elle se referma d’elle-même…

Et alors — non ! je n’oublierai jamais cette scène ! — une voix se fit entendre… Non pas, comme à la soirée des fiançailles, la voix rude qui nous insultait avec le Chant de la Haine, — mais une voix fraîche et joyeuse, une voix aimée entre toutes, la voix de notre chère Myra !…

« Marc, disait-elle, et vous monsieur Henri, et toi, Haralan, que faites-vous ici ? C’est l’heure du dîner, et je meurs de faim.

C’était Myra, Myra elle-même, Myra qui avait recouvré la raison, Myra guérie !… On eût dit qu’elle descendait de sa chambre comme d’habitude. C’était Myra qui nous voyait et que nous ne voyions pas !… C’était Myra invisible !…

Jamais mots aussi simples ne produisirent un tel effet. Stupéfaits, cloués à nos sièges, nous n’osions ni bouger, ni parler, ni aller du côté d’où venait cette voix. Pourtant, Myra était là, vivante, et, nous le savions, tangible dans son invisibilité…

D’où arrivait-elle ?… De la maison où son ravisseur l’avait conduite ?… Elle avait donc pu s’enfuir, traverser la ville, rentrer