Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
LE SUPERBE ORÉNOQUE.

ne parvinrent à les reconnaître, à cause de la distance. Toutefois, à leur costume, il y avait lieu d’affirmer que ce n’étaient point des Yaruros, ni des Mapoyos ; ni aucun des Indiens qui fréquentent les territoires du moyen Orénoque.

S’agissait-il donc des deux Français aventurés sur les plaines de l’est, et dont on attendait vainement le retour ?… Jean de Kermor, — la pensée lui en était venue, — allait-il éprouver cette joie de retrouver des compatriotes ?…

MM. Marchal, Miguel, Felipe et Varinas, le chef civil et ceux des habitants qui l’accompagnaient, avaient suspendu leur marche… Convenait-il de se porter plus avant ?… Non, assurément… Arrêtés par le premier rang des tortues, obligés bientôt de revenir en arrière, ils n’auraient pu rejoindre les deux hommes, cernés de tous côtés par la bande des fauves.

Cependant Jean insista afin qu’on se lançât à leur secours, ne mettant pas en doute que ces deux hommes fussent l’explorateur et le naturaliste français…

« C’est impossible, dit M. Marchal, et c’est inutile… On s’exposerait sans leur venir en aide… Mieux vaut laisser les tortues arriver jusqu’au fleuve… Là… leur masse se disloquera d’elle-même…

— Sans doute, dit le chef civil, mais nous sommes menacés d’un grave danger !…

— Lequel ?…

— Si ces milliers de tortues rencontrent la Urbana sur leur route… si leur marche ne dévie pas en gagnant le fleuve… c’en est fait de notre bourgade ! »

Par malheur, on ne pouvait rien pour empêcher cette catastrophe. Après avoir contourné la base du cerro, la lente et irrésistible avalanche gagnait vers la Urbana, dont deux centaines de mètres la séparaient alors. Tout serait renversé, écrasé, anéanti à l’intérieur du village… L’herbe ne pousse plus là où les Turcs ont passé, a-t-on pu dire… Eh bien… il ne resterait pas une case, pas une hutte, pas un arbre, pas un arbrisseau, là où aurait passé la masse des tortues…