Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/246

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reprendre un seul mot de cet hymne à l’Océan. Si, pour retrouver Harry Grant, il eût fallu suivre à travers un continent la ligne du trente-septième parallèle, l’entreprise n’aurait pu être tentée ; mais la mer était là pour transporter les courageux chercheurs d’une terre à l’autre, et, le 6 décembre, aux premières lueurs du jour, elle laissa une montagne nouvelle émerger du sein de ses flots.

C’était l’île Amsterdam, située par 37° 47′ de latitude, et 77° 24′[1] de longitude, dont le cône élevé est, par un temps serein, visible à cinquante milles. À huit heures, sa forme encore indéterminée reproduisait assez exactement l’aspect de Ténériffe.

« Et par conséquent, dit Glenarvan, elle ressemble à Tristan d’Acunha.

— Très-judicieusement conclu, répondit Paganel, d’après cet axiome géométrographique, que deux îles semblables à une troisième se ressemblent entre elles. J’ajouterai que, comme Tristan d’Acunha, l’île Amsterdam est et a été également riche en phoques et en Robinsons.

— Il y a donc des Robinsons partout ? demanda lady Helena.

— Ma foi, Madame, répondit Paganel, je connais peu d’îles qui n’aient eu leur aventure en ce genre, et le hasard avait déjà réalisé bien avant lui le roman de votre immortel compatriote, Daniel de Foë.

— Monsieur Paganel, dit Mary Grant, voulez-vous me permettre de vous faire une question ?

— Deux, ma chère miss, et je m’engage à y répondre.

— Eh bien, reprit la jeune fille, est-ce que vous vous effrayeriez beaucoup à l’idée d’être abandonné dans une île déserte ?

— Moi ! s’écria Paganel.

— Allons, mon ami, dit le major, n’allez pas avouer que c’est votre plus cher désir !

— Je ne prétends pas cela, répliqua le géographe, mais, enfin, l’aventure ne me déplairait pas trop. Je me referais une vie nouvelle. Je chasserais, je pêcherais, j’élirais domicile dans une grotte, l’hiver, sur un arbre, l’été ; j’aurais des magasins pour mes récoltes ; enfin je coloniserais mon île.

— À vous tout seul ?

— À moi tout seul, s’il le fallait. D’ailleurs, est-on jamais seul au monde ? Ne peut-on choisir des amis dans la race animale, apprivoiser un jeune chevreau, un perroquet éloquent, un singe aimable ? Et si le hasard vous envoie un compagnon, comme le fidèle Vendredi, que faut-il de plus pour être heureux ? Deux amis sur un rocher, voilà le bonheur ! Supposez le major et moi...

  1. 75° 4′ à l’est du méridien de Paris.