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nord contre sud.

Ainsi raisonnait M. Stannard, et il y avait de sérieux motifs pour que son raisonnement fût juste. Parvint-il à convaincre James Burbank ? Non, sans doute. Lui rendit-il un peu d’espoir ? Pas davantage. C’était impossible. Mais James Burbank comprit que, lui aussi, il devrait s’astreindre à parler devant sa femme comme Walter Stannard venait de parler devant lui. Autrement, Mme Burbank n’eût pas survécu à ce dernier coup. Et, lorsqu’il fut de retour à l’habitation, il fit valoir avec force ces arguments auxquels lui-même ne pouvait se rendre.

Pendant ce temps, Perry et les sous-régisseurs visitaient Camdless-Bay. C’était un spectacle navrant. Cela parut même faire une grande impression sur Pygmalion qui les accompagnait. Cet « homme libre » n’avait point cru devoir suivre les esclaves affranchis, dispersés par Texar. Cette liberté d’aller coucher dans les bois, d’y souffrir du froid et de la faim, lui paraissait excessive. Aussi avait-il préféré rester à Castle-House, dût-il, comme Zermah, déchirer son acte d’affranchissement pour conquérir le droit d’y demeurer.

« Tu le vois, Pyg ! lui répétait M. Perry. La plantation est dévastée, nos ateliers sont en ruine. Voilà ce que nous a coûté la liberté donnée à des gens de ta couleur !

— Monsieur Perry, répondait Pygmalion, ce n’est pas ma faute…

— C’est ta faute, au contraire ! Si tes pareils et toi, vous n’aviez pas applaudi tous ces déclamateurs qui tonnaient contre l’esclavage, si vous aviez protesté contre les idées du Nord, si vous aviez pris les armes pour repousser les troupes fédérales, jamais monsieur Burbank n’aurait eu cette pensée de vous affranchir, et le désastre ne se serait pas abattu sur Camdless-Bay !

— Que puis-je y faire, maintenant, reprenait le désolé Pyg, que puis-je y faire, monsieur Perry ?

— Je vais te le dire, Pyg, et c’est ce que tu ferais, s’il y avait en toi le moindre sentiment de justice ! — Tu es libre, n’est-ce pas ?

— Il paraît !

— Par conséquent, tu t’appartiens ?

— Sans doute !