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— Votre médecin ?

— Sans doute. Tel que vous me voyez, j’ai été foudroyé dans mon lit, le 13 juillet 1867, à Kew, près de Londres, et la foudre m’a guéri d’une paralysie du bras droit, qui résistait à tous les efforts de la médecine !

— Vous voulez rire ?

— Point. C’est un traitement économique, un traitement par l’électricité. Mon cher monsieur, il y a d’autres faits très authentiques qui prouvent que le tonnerre en remontre aux docteurs les plus habiles, et son intervention est vraiment merveilleuse dans les cas désespérés.

— N’importe, dis-je, j’aurais peu de confiance en votre médecin, et je ne l’appellerais pas volontiers en consultation !

— Parce que vous ne l’avez pas vu à l’œuvre. Tenez, un exemple me revient à la mémoire. En 1817, dans le Connecticut, un paysan qui souffrait d’un asthme réputé incurable fut foudroyé dans son champ et radicalement guéri. Un coup de foudre pectorale, celui-là ! »

En vérité, le docteur eût été capable de mettre le tonnerre en pilules.

« Riez, ignorant, me dit-il, riez ! Vous ne connaissez décidément rien, soit au temps, soit à la médecine ! »


XXXII


Dean Pitferge me quitta. Je restai sur le pont, regardant monter l’orage. Fabian était encore renfermé dans sa cabine. Corsican était avec lui. Fabian, sans doute, prenait quelques dispositions en cas de malheur. L’idée me revint alors qu’il avait une sœur à New-York, et je frémis à la pensée que nous aurions peut-être à lui rapporter la mort de son frère qu’elle attendait. J’aurais voulu voir Fabian, mais je pensai qu’il valait mieux ne troubler ni lui ni le capitaine Corsican.

À quatre heures, nous eûmes connaissance d’une terre allongée devant la côte de Long-Island. C’était l’îlot de Fire-Island. Au milieu s’élevait un phare qui éclairait cette terre. En ce moment, les passagers avaient envahi les roufles et les passerelles. Tous les regards se dirigeaient vers la côte qui nous restait environ à six milles dans le nord. On attendait le moment où l’arrivée du pilote réglerait la grande affaire de la poule. On comprend que les possesseurs de quarts d’heure de nuit — j’étais du nombre — avaient abandonné toute prétention, et que les quarts d’heure de jour, sauf ceux qui étaient compris entre quatre et six heures, n’avaient plus aucune chance. Avant la nuit, le pilote serait à bord et l’opération terminée. Tout l’intérêt se concentrait donc sur les sept ou huit personnes auxquelles le sort avait attribué les prochains quarts d’heure, et elles en profitaient pour vendre, acheter, revendre leurs chances avec une véritable furie. On se serait cru au Royal-Exchange de Londres.