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de trois russes et de trois anglais

tion futile, une discussion violente s’éleva entre le colonel Everest et Mathieu Strux. Les deux rivaux, qui s’étaient contenus depuis quelque temps, retrouvèrent là toute leur ancienne animosité, qui passa seulement de l’état latent à l’état sensible, et finit par dégénérer en une altercation grave. En vain, leurs collègues tentèrent de s’interposer. Les deux chefs ne voulurent rien entendre. L’un, l’Anglais, tenait pour la droite, direction qui rapprochait l’expédition de la route suivie par David Livingstone, lors de son premier voyage aux chutes de Zambèse, et c’était au moins une raison, car ce pays, plus connu et plus fréquenté, pouvait offrir certains avantages. Quant au Russe, il opinait pour la gauche, mais évidemment pour contrecarrer l’opinion du colonel. Si le colonel eût opté pour la gauche, il aurait tenu pour la droite.

La querelle alla fort loin, et l’on pouvait prévoir le moment où une scission se produirait entre les membres de la commission.

Michel Zorn et William Emery, sir John Murray et Nicolas Palander n’y pouvant rien, quittèrent la conférence, et laissèrent les deux chefs aux prises. Tel était leur entêtement que l’on devait tout craindre, même que les travaux, interrompus en ce point, se continuassent par deux séries de triangles obliques.

La journée se passa sans amener aucun rapprochement entre les deux opinions opposées.

Le lendemain, 12 août, sir John, prévoyant que les entêtés ne s’accorderaient pas encore, alla trouver le bushman, et lui proposa de battre les environs. Pendant ce temps, les deux astronomes arriveraient peut-être à s’entendre. En tout cas, un morceau de venaison fraîche ne serait pas à dédaigner.

Mokoum, toujours prêt, siffla son chien Top, et les deux chasseurs, battant le taillis, fouillant la lisière du bois, s’aventurèrent, moitié causant, moitié quêtant, à quelques milles du campement.

Tout naturellement, la conversation roula sur l’incident qui empêchait la continuation des travaux géodésiques.

« J’imagine, dit le bushman, que nous voilà campés pour quelque temps sur la lisière de la forêt de Rovouma. Nos deux chefs ne sont point près de céder l’un à l’autre. Que votre Honneur me permette cette comparaison, mais l’un tire à droite et l’autre à gauche, comme des bœufs qui ne s’entendent pas, et de cette façon, la machine ne peut marcher.

— C’est une circonstance fâcheuse, répondit sir John Murray, et je crains bien que cet entêtement n’amène une séparation complète. N’étaient les intérêts de la science, cette rivalité d’astronomes me laisserait assez indifférent, brave Mokoum. Les giboyeuses contrées de l’Afrique