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de trois russes et de trois anglais

pauvre Michel Zorn, et les sympathiques confidences qui s’échangeaient ordinairement entre eux ! Comme lui, il eût été vivement impressionné, et, entre deux observations, ils auraient laissé déborder leur cœur !

La caravane cheminait ainsi au milieu de ce pays magnifique. De nombreuses bandes d’oiseaux animaient de leur chant et de leur vol les prairies et les forêts. Les chasseurs de la troupe abattirent, à plusieurs reprises, des couples de « korans », sortes d’outardes particulières aux plaines de l’Afrique australe, et des « dikkops », gibier délicat dont la chair est très estimée. D’autres volatiles se recommandaient encore à l’attention des Européens, mais à un point de vue non comestible. Sur les bords des ruisseaux, ou à la surface des rivières qu’ils effleuraient de leurs ailes rapides, quelques gros oiseaux poursuivaient à outrance les corneilles voraces qui cherchaient à soustraire leurs œufs du fond de leurs nids de sable. Des grues bleues et à col blanc, des flamants rouges qui se promenaient comme une flamme sous les taillis clairsemés, des hérons, des courlis, des bécassines, des « kalas » souvent perchés sur le garrot des buffles, des pluviers, des ibis qui semblaient envolés de quelque obélisque hiéroglyphique, d’énormes pélicans marchant en file par centaines, portaient partout la vie dans ces régions auxquelles l’homme manquait seul. Mais de ces divers échantillons de la gent emplumée, les plus curieux n’étaient-ils pas ces ingénieux « tisserins », dont les nids verdâtres, tressés de joncs ou de brins d’herbes, sont suspendus comme d’énormes poires aux branches des saules pleureurs ? William Emery, les prenant pour des produits d’une espèce nouvelle, en cueillit un ou deux, et quel fut son étonnement d’entendre ces prétendus fruits gazouiller comme des passereaux ? N’aurait-il pas été excusable de croire, à l’exemple des anciens voyageurs d’Afrique, que certains arbres de cette contrée portaient des fruits qui produisaient des oiseaux vivants !

Oui, ce karrou avait alors un aspect enchanteur. Il offrait toutes les conditions favorables à la vie ruminante. Les gnous aux sabots pointus, les caamas, qui suivant Harris, semblent n’être composés que de triangles, les élans, les chamois, les gazelles, y abondaient. Quelle variété de gibier, quels « coups de fusil », pour un des membres estimés du Hunter-Club ! C’était vraiment une tentation trop forte pour sir John Murray, et, après avoir obtenu deux jours de repos du colonel Everest, il les employa à se fatiguer d’une remarquable façon. Mais aussi, quels succès il obtint en collaboration avec son ami le bushman, tandis que William Emery les suivait en amateur ! Que de coups heureux à enregistrer sur son carnet de vénerie ! Que de trophées cynégétiques à rapporter à son château des Highlands ! Et dans quel oubli, pendant ces deux jours de vacances, il laissa les