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aventures

koum, il est vrai, ne leur avait point dissimulé la longueur et les difficultés du voyage, et certes, ils étaient hommes à braver les fatigues inséparables d’une telle expédition. Mais, du moment qu’aux fatigues se joignaient les dangers d’une collision avec des ennemis acharnés, cette circonstance modifiait leurs dispositions. De là, des regrets, des plaintes, un mauvais vouloir que Mokoum feignait de ne voir ni d’entendre, mais qui ajoutait encore à ses inquiétudes sur l’avenir de la commission scientifique.

Un fait, dans la journée du 2 décembre, excita encore les mauvaises dispositions de ces superstitieux Bochjesmen et provoqua, dans une certaine mesure, une sorte de rébellion contre leurs chefs.

Depuis la veille, le temps, si beau jusqu’alors, s’était assombri. Sous l’influence d’une chaleur tropicale, l’atmosphère, saturée de vapeurs, indiquait une grande tension électrique. On pouvait déjà présager un orage prochain, et les orages, sous ces climats, se développent presque toujours avec une incomparable violence.

En effet, pendant la matinée du 2 décembre, le ciel se couvrit de nuages d’un sinistre aspect, auquel un météorologiste ne se fût pas trompé. C’étaient des « cumulus » amoncelés comme des balles de coton, et dont la masse, ici d’un gris foncé, là d’une nuance jaunâtre, présentait des couleurs très distinctes. Le soleil avait une teinte blafarde. L’air était calme, la chaleur étouffante. La baisse barométrique, accusée depuis la veille par les instruments, s’était alors arrêtée. Pas une feuille ne remuait aux arbres au milieu de cette lourde atmosphère.

Les astronomes avaient observé cet état du ciel, mais ils n’avaient point cru devoir interrompre les travaux. En ce moment, William Emery, accompagné de deux matelots, de quatre indigènes et d’un chariot, s’était porté à deux milles dans l’est de la méridienne, afin d’établir un poteau indicateur destiné à former le sommet d’un triangle. Il s’occupait de dresser sa mire au sommet d’un monticule, quand une rapide condensation des vapeurs, sous l’influence d’un grand courant d’air froid, donna lieu à un développement considérable d’électricité. Presque aussitôt, une grêle abondante se précipita sur le sol. Phénomène assez rarement observé, ces grêlons étaient lumineux, et on eût dit qu’il pleuvait des gouttes de métal embrasé. Du sol directement frappé jaillissaient des étincelles, et des jets lumineux s’élançaient de toutes les portions métalliques du véhicule qui avait servi au transport du matériel.

Bientôt ces grêlons acquirent un volume considérable. C’était une lapidation véritable, à laquelle on ne pouvait s’exposer sans danger. Et l’on ne s’étonnera pas de l’intensité de ce phénomène, quand on saura que le docteur Livingstone a vu, en de pareilles circonstances, à Kolobeng, les car-