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de trois russes et de trois anglais

reaux de la maison brisés, et des chevaux, des antilopes, tués par ces énormes grêlons.

Sans perdre un instant, William Emery, abandonnant son travail, rappela ses hommes, afin de chercher dans le chariot un abri moins dangereux que celui d’un arbre par un temps d’orage. Mais il avait à peine abandonné le sommet du monticule, qu’un éclair éblouissant, accompagné d’un coup de tonnerre immédiat, embrasa l’atmosphère.

William Emery fut renversé, comme mort. Les deux matelots, éblouis un instant, se précipitèrent vers lui. Très heureusement, le jeune astronome avait été épargné par la foudre. Par un de ces effets presque inexplicables, que présentent certains cas de foudroiement, le fluide avait pour ainsi dire glissé autour de lui, en l’enveloppant d’une nappe électrique ; mais son passage était dûment attesté par la fusion qu’il avait opérée des pointes de fer d’un compas que William Emery tenait à la main.

Le jeune homme, relevé par ses matelots, revint promptement à lui. Mais il n’avait été ni la seule ni la plus éprouvée victime de ce coup de tonnerre. Auprès du poteau dressé sur le monticule, deux indigènes gisaient sans vie, à vingt pas l’un de l’autre. L’un, dont le système vital avait été complètement désorganisé par l’action mécanique de la foudre, gardait sous ses vêtements intacts un corps noir comme du charbon. L’autre, frappé au crâne par le météore atmosphérique, avait été tué raide.

Ainsi donc, ces trois hommes, — les deux indigènes et William Emery, — venaient de subir simultanément le choc d’un seul éclair à triple dard. Phénomène rare, mais quelquefois observé, de cette trisection d’un éclair, dont l’écartement angulaire est souvent considérable.

Les Bochjesmen, d’abord atterrés par la mort de leurs camarades, prirent bientôt la fuite, en dépit des cris des matelots, et au risque d’être foudroyés en raréfiant l’air derrière eux par la rapidité de leur course. Mais ils ne voulurent rien entendre, et revinrent au campement de toute la vitesse de leurs jambes. Les deux marins, après avoir transporté William Emery dans le chariot, y placèrent les corps des deux indigènes, et s’abritèrent à leur tour, étant déjà tout contusionnés par le choc des grêlons qui tombaient comme une pluie de pierres. Pendant trois quarts d’heure environ, l’orage gronda avec une violence extrême. Puis, il commença à s’apaiser. La grêle cessa de tomber, et le chariot put reprendre la route du camp.

La nouvelle de la mort des deux indigènes l’avait précédé. Elle produisit un effet déplorable sur l’esprit de ces Bochjesmen qui ne voyaient pas sans une terreur superstitieuse ces opérations trigonométriques auxquelles ils ne pouvaient rien comprendre. Ils se rassemblèrent en conci-