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aventures

vérification faite, cette lueur n’était qu’une étoile embrumée à l’horizon.

Pendant la journée du 1er mars, on ne mangea pas. Probablement accoutumés depuis quelques jours à une nourriture très insuffisante, le colonel Everest et ses compagnons supportèrent plus facilement qu’ils ne le croyaient ce manque absolu d’aliments, mais, si la Providence ne leur venait pas en aide, le lendemain leur réservait de cruelles tortures.

Le lendemain, la Providence ne les combla pas sans doute ; aucun gibier d’aucune sorte ne vint solliciter un coup de fusil de sir John Murray, et, cependant, la garnison, qui n’avait pas le droit de se montrer difficile, parvint à se restaurer tant soit peu.

En effet, sir John et Mokoum, tiraillés par la faim, l’œil hagard, s’étaient mis à errer sur le sommet du Scorzef. Une faim tenace leur déchirait les entrailles. En viendraient-ils donc à brouter cette herbe qu’ils foulaient du pied, ainsi que l’avait dit le colonel Everest !

« Si nous avions des estomacs de ruminants ! pensait le pauvre sir John, quelle consommation nous ferions de ce pâturage. Et pas un gibier, pas un oiseau ! »

En parlant ainsi, sir John portait ses regards sur ce vaste lac qui s’étendait au-dessous de lui. Les marins de la Queen and Tzar avaient essayé de prendre quelques poissons, mais en vain. Quant aux oiseaux aquatiques qui voltigeaient à la surface de ces eaux tranquilles, ils ne se laissaient point approcher.

Cependant, sir John et son compagnon, qui ne marchaient pas sans une extrême fatigue, s’étendirent bientôt sur l’herbe, au pied d’un monticule de terre, haut de cinq à six pieds. Un sommeil pesant, plutôt un engourdissement qu’un sommeil, envahit leur cerveau. Sous cette oppression, leurs paupières se fermèrent involontairement. Peu à peu, ils tombèrent dans un véritable état de torpeur. Le vide qu’ils sentaient en eux les anéantissait. Cette torpeur, au surplus, pouvait suspendre un instant les douleurs qui les déchiraient, et ils s’y laissaient aller.

Combien de temps eût duré cet engourdissement, ni le bushman ni sir John n’auraient pu le dire ; mais, une heure après, sir John se sentit réveillé par une succession de picotements très désagréables. Il se secoua, il chercha à se rendormir, mais les picotements persistèrent, et, impatienté enfin, il ouvrit les yeux.

Des légions de fourmis blanches couraient sur ses vêtements. Sa figure, ses mains en étaient couvertes. Cette invasion d’insectes le fit se lever comme si un ressort se fût détendu en lui. Ce brusque mouvement réveilla le bushman, étendu à son côté. Mokoum était également couvert de ces fourmis blanches. Mais, à l’extrême surprise de sir John, Mokoum, au lieu de