Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LES ANGLAIS AU POLE NORD

rée des réunions enfantines ! Quel souvenir amer que celui de ces enfants joyeux autour de leur arbre enrubanné ! Qui ne se rappelait ces longues pièces de viande rôtie que fournissait le bœuf engraissé pour cette circonstance ? Et ces tourtes, ces mince-pies, où les ingrédients de toutes sortes se trouvent amalgamés pour ce jour si cher aux cœurs anglais ? Mais ici, la douleur, le désespoir, la misère à son dernier degré, et, pour bûche de Noël, ces morceaux du bois d’un navire perdu au plus profond de la zone glaciale !

Cependant, sous l’influence du feu, le sentiment et la force revinrent au cœur des matelots ; les boissons brûlantes de thé ou de café produisirent un bien-être instantané, et l’espoir est chose si tenace à l’esprit, que l’on se reprit à espérer. Ce fut dans ces alternatives que se termina cette funeste année 1860, dont le précoce hiver avait déjoué les hardis projets d’Hatteras.

Or, il arriva que précisément ce 1er janvier 1861 fut marqué par une découverte inattendue. Il faisait un peu moins froid ; le docteur avait repris ses études accoutumées ; il lisait les relations de sir Edward Belcher sur son expédition dans les mers polaires. Tout d’un coup, un passage inaperçu jusqu’alors le frappa d’étonnement ; il relut, et ne put s’y méprendre.

Sir Edward Belcher racontait qu’après être parvenu à l’extrémité du canal de la Reine, il avait découvert des traces importantes du passage et du séjour des hommes.

« Ce sont, disait-il, des restes d’habitations bien supérieures à tout ce que l’on peut attribuer aux habitudes grossières des tribus errantes d’Esquimaux. Leurs murs sont bien assis dans le sol profondément creusé ; l’aire de l’intérieur, recouverte d’une couche épaisse de beau gravier, a été pavée. Des ossements de rennes, de morses, de phoques s’y voient en grande quantité. Nous rencontrâmes du charbon. »

Aux derniers mots, une idée surgît dans l’esprit du docteur ; il emporta son livre et vint le communiquer à Hatteras.

« Du charbon ! s’écria ce dernier.

— Oui, Hatteras, du charbon ; c’est à dire le salut pour nous !

— Du charbon ! sur cette côte déserte ! reprit Hatteras. Non, cela n’est pas possible !

— Pourquoi en douter, Hatteras ? Belcher n’eût pas avancé un tel fait sans en être certain, sans l’avoir vu de ses propres yeux.

— Eh bien, après, docteur ?

— Nous ne sommes pas à cent milles de la côte où Belcher vit ce charbon. Qu’est-ce qu’une excursion de cent milles ? Rien. On a souvent fait des recher-