Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On sera plus surpris encore qu’un poète, qui passa pour dédaigner le bric-à-brac romantique, ait recherché parfois la couleur au détriment de la vérité, arrangé des faits pour mettre plus de noirceur dans l’histoire et rendre les Poèmes barbares plus dignes de leur titre : ainsi, il donne à Urien le nom de son père Kenwarc’h, parce que le nom d’Urien n’avait pas une physionomie assez galloise ; il fait indignement massacrer par Akhab les ambassadeurs de son ennemi Benadad, que le roi d’Israël, d’après le récit biblique, reçut au contraire avec courtoisie ; il fait envoyer par Hialmar mourant à sa fiancée, non plus, comme dans la légende islandaise, l’anneau des fiançailles, mais son cœur tout chaud, et ce n’est plus au compagnon d’armes du guerrier que le poète donne la mission d’exécuter ses dernières volontés, c’est au corbeau de la bruyère ; il accumule impitoyablement sur les héroïnes de la Mort de Sigurd les infortunes les plus lamentables, vidant la légende scandinave de toute pitié, pour n’y laisser subsister que l’esprit de vengeance ; dans la Légende des Nornes, il retranche de la sombre cosmogonie du nord le dernier chapitre, qui promet après l’effondrement du monde la naissance d’un monde nouveau et paisible, car il ne veut pas que tant d’horreurs soient éclairées de la moindre espérance.

Mais les offenses à la vérité historique ne sont chez Leconte de Lisle ni très nombreuses, ni très graves. Le plus souvent on l’admirera d’avoir su, avec tant de sagacité, choisir les sources les plus sérieuses et en extraire ce qu’elles contenaient de plus significatif.