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Al-Mançour fut enseveli, comme le dit poétiquement Leconte de Lisle, dans la cendre de ses victoires. Depuis l’époque de sa première incursion en Galice, il avait pris l’habitude de faire secouer la poussière de ses habits toutes les fois qu’il rentrait dans sa tente après le combat. Cette poussière était conservée soigneusement dans une caisse, qui le suivait partout. Elle était destinée à le couvrir dans son cercueil. Et ce fut bien dans ce suaire glorieux que son corps fut enveloppé[1].

Dès que sa mort fut connue de l’armée, raconte Mariés, écho des annalistes arabes, la consternation fut à son comble. Chaque soldat, la tristesse sur le visage, le deuil dans le cœur, s’écriait douloureusement : « Nous avons perdu notre ami, notre chef, notre défenseur, notre père. » Ces mots, arrachés par la douleur, répétés par le désespoir, étaient les seuls qu’on entendît dans le camp. Et Mariés conjecture, avec une grande vraisemblance, que la reconnaissance et l’admiration durent produire bien des poèmes sur la mort du héros.


C’est un de ces poèmes que l’imagination de Leconte de Lisle a essayé de reconstituer sous le titre de le Suaire de Mohammed-al-Mançour, et le sujet lui en était clairement indiqué par le récit de l’historien : le poème qu’il fallait faire, c’était le chant des soldats d’Al-Mançour pleurant la


  1. Marlès, t. II, p. 9 et p. 56, note 1. Viardot obscurcit et arrange le fait en disant qu’ « on réunit pour ensevelir Al-Mançour de la terre prise à tous les champs de bataille où il avait combattu ». — Leconte de Lisle met sur le cheval d’Al-Mançour une peau de panthère. C’est dans une page de Marlès (t. II, p. 16) qu’il a probablement pris ce détail.