Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/291

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Il les avait tranchés en face, ces crânes de guerriers,


Pour que le fier esprit qui les hantait vivants
Le fît un des meilleurs parmi ceux qu’on renomme.


Mais mille Maourys vinrent un jour d’une île voisine attaquer sa tribu. Après d’héroïques combats, elle fut vaincue. Alors elle entassa sur ses pirogues couplées les vivres, les armes, les esclaves, les femmes, les enfants, et elle s’enfuit vers l’Orient, « où va l’âme des morts ». Après onze jours d’orage, elle fut jetée sur le sol où le chef est maintenant. Un peuple hideux, noir et crépu, y fourmillait : il fut balayé comme les feuilles sèches,


Et, pour ne pas mourir, les guerriers tatoués
Mangèrent ces chiens noirs hérissés de leurs flèches.


Ce qui restait fut réduit en esclavage. Et les blancs vinrent à leur tour décimer les vainqueurs des noirs avec leur fatal tonnerre. Aujourd’hui, de toute sa race, il reste seul, obligé, lui qui a été un chef redoutable, à mendier et à chercher l’oubli dans l’eau de feu.

Ceci dit, le vieux mangeur d’hommes mordit ses auditeurs d’un regard de haine et s’en alla, tête basse, les deux bras pendants.

En lui faisant conter sa vie, le poète a su résumer, dans un tableau admirablement coloré, tout ce qu’avait dit d’essentiel l’historien de la race polynésienne.