Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/290

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assis sur les jarrets, les paumes aux mâchoires, semblable à une Idole. Longtemps inerte, il parla enfin.

— Le monde est grand, dit-il. La terre où vos enfants sont nés et où vos pères sont morts est-elle pleine, ô blancs ? Non, mais vous êtes plus avides que l’essaim vorace des moustiques. Les Maourys étaient plus généreux que vous.

Et le chef conte alors son histoire.

Il appartient à la plus noble race de l’Océanie, à la première qui vit le jour après que le divin Mahouï eut organisé le monde[1]. Lui-même n’est pas né sur cette rive. Il a quitté la côte orageuse où les os de ses aïeux dorment, bercés au bruit de la mer éternelle. Qu’ils étaient beaux les jours où, chef de sa tribu, il mangeait la chair et buvait le sang des braves, servi par un troupeau d’esclaves


Dans la hutte où pendaient cent crânes chevelus !



  1. Leconte de Lisle raconte ici brièvement l’organisation du monde par Mahouï. Il s’est probablement inspiré, mais avec une grande liberté, d’un des chants indigènes publiés par Mœrenhout (Voyages aux îles du Grand Océan, t. I, p. 449) : « Mahoui va lancer sa pirogue. Il est assis dans le fond. L’hameçon pend du côté droit, attaché à sa ligne avec des tresses de cheveux ; et cette ligne et l’hameçon qu’il tient à sa main, il les laisse descendre dans la profondeur ou l’immensité de l’univers pour pêcher ce poisson (la terre). Il élève les pivots (les axes ou orbites) ; il élève la terre, cette merveille du pouvoir de Taaora. Déjà vient la base (les axes ou orbites) ; déjà il sent le poids énorme du monde. La terre vient. Il la tient à la main, cette terre encore perdue dans l’immensité ; elle est prise à son hameçon. Mahoui s’est assuré ce grand poisson, nageant dans l’espace, et qu’il peut à présent diriger à volonté. » — La suite est fort difficile à comprendre, de l’aveu de Mœrenhout. La terre y est dépeinte en désordre et inculte ; les êtres souffrent ; tout est confus et obscur. Mahoui règle le cours du soleil : alors naissent la fertilité, l’abondance, le bonheur.