Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/307

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lante de son lit. Mais, quand les eaux eurent couvert, comme d’un suaire, l’univers mort, le fils d’Élam vit Qaïn, le Vengeur, qui marchait vers l’arche monstrueuse apparue à demi. (Car Leconte de Lisle, qui veut que l’arche ait été construite à l’insu de Dieu, veut qu’elle soit sauvée par Qaïn.)

Et l’homme s’étant éveillé écrivit sa vision avec un roseau sur une peau d’onagre, en langue khaldaïque.


Qaïn est-il, comme on l’a dit, le chef-d’œuvre de son auteur ? C’est assurément celle de ses œuvres qui contient ses plus belles pages. Je ne crois pas qu’il y ait nulle part dans les Poèmes barbares une résurrection du passé comparable pour l’intérêt du sujet à celle qui se fait sous les yeux de Thogorma, un tableau supérieur à celui qui nous montre ces gigantesques chasseurs d’ours et de lions s’engouffrant avec leurs troupeaux dans la ville aux murs de fer. Je ne pense pas que le poète ait jamais exprimé avec plus d’éloquence qu’il l’a fait ici dans quelques strophes « la protestation du corps contre la douleur, du cœur contre l’injustice et de la raison contre l’inintelligible[1] ». Et combien n’a-t-il pas d’ingéniosité grandiose, le plan qui réussit à enfermer dans le même cadre ces trois faits, les trois plus grands de l’histoire biblique, les trois grandes punitions que Jéhovah tira de sa créature : l’expulsion du Paradis terrestre, le déluge, la captivité de Babylone !

Mais il est permis, je suppose, d’estimer que cette ingéniosité n’est pas allée sans quelque complication et que, si

  1. Jules Lemaître, Les Contemporains, t. II.