Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/308

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tant de choses ont été ramassées dans un seul poème, on aperçoit l’effort qui a été nécessaire pour les unir. Qu’est-ce qu’il a fallu, en effet, imaginer pour leur trouver un lien ? Qu’un voyant s’endort pour voir dans le passé un mort qui s’éveille pour prédire l’avenir. Cette hypothèse ne sent-elle pas un peu l’artifice ? Et, — j’entre en plein dans mon sujet : les sources de Qaïn, — le poème, pour nous satisfaire entièrement, ne manque-t-il pas un peu de spontanéité ? Ne rappelle-t-il pas un trop grand nombre d’œuvres antérieures, sans que la comparaison se fasse toujours à son avantage ?

Lorsque Qaïn s’est mis à parler


D’une voix lente et grave et semblable au tonnerre
Qui d’échos en échos par le désert roula,


nous songeons aussitôt, — ce n’est pas moi qui fais le premier ce rapprochement, — au Charlemagne d’Aymerillot[1] :


Et les pâtres lointains, épars au fond des bois,
Croyaient en l’entendant que c’était le tonnerre.


Et l’image nous paraît plus grande chez Hugo, parce que Leconte de Lisle a trop insisté sur les effets pittoresques du tonnerre. Lorsque Qaïn évoque le souvenir de l’Eden, tous les lecteurs ont bientôt présent à l’esprit le Sacre de la Femme, et c’est pour regretter, non pas peut-être que la description luxuriante de Hugo soit réduite ici à trois ou quatre strophes, mais que le Paradis y soit ramené aux

  1. E. Rigal, Comment ont été composés Aymerillot et le Mariage de Roland, Revue d’hist. litt. de la France, no du 15 janvier 1900.