Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gine de la page que je viens de résumer. Leconte de Lisle a voulu y condenser le Centaure de Maurice de Guérin (publié en 1840 dans la Revue des Deux Mondes). Pour s’en convaincre, on n’aura qu’à rapprocher des vers du poète les quelques lignes suivantes :


L’usage de ma jeunesse fut rapide et rempli d’agitation. Je vivais de mouvement et ne connaissais pas de borne à mes pas. Dans la fierté de mes forces libres, j’errais m’étendant de toutes parts dans ces déserts… Je me délassais souvent de mes journées dans le lit des fleuves. Une moitié de moi-même, cachée dans les eaux, s’agitait pour les surmonter… Une inconstance sauvage et aveugle disposait de mes pas... Ainsi, tandis que mes flancs agités possédaient l’ivresse de la course, plus haut j’en ressentais l’orgueil, et, détournant ma tête, je m’arrêtais quelque temps à considérer ma croupe fumante. La jeunesse est semblable aux forêts verdoyantes tourmentées par les vents : elle agite de tous côtés les riches présents de la vie, et toujours quelque profond murmure règne dans son feuillage. Vivant avec l’abandon des fleuves, respirant sans cesse Cybèle, soit dans le lit des vallées, soit à la cime des montagnes, je bondissais partout comme une vie aveugle et déchaînée.


Dans la page de Leconte de Lisle, comme dans le magnifique poème en prose de Guérin, c’est le même rêve qui est exprimé : celui d’une vie s’identifiant autant que possible avec celle de la nature, d’une vie où l’homme, pour mieux participer à l’existence de la nature, aurait une vigueur tout animale, mais en conservant une intelligence humaine, consciente des délices de cette participation. Il s’en faut d’ailleurs que Leconte de Lisle fasse oublier son modèle : il l’abrège, il le dessèche, il le grossit surtout,