Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/378

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ramenant à une agitation par trop brutale l’exercice que le centaure fait de ses jeunes forces.


Comme Khirôn a regretté amèrement sa jeunesse, Orphée l’engage à éloigner de son cœur ces regrets indignes d’un sage, et le centaure, docile à ce conseil viril, commence à dire les antiques destins des peuples morts.

Aussi loin que son regard plonge dans le passé, un peuple habitait au pied du Péliôn. Ces hommes descendaient de Pélasgos, fils de la Terre. Ils parlaient peu, paissaient leurs troupeaux, ignoraient la guerre et la navigation, avaient des vêtements grossiers et de noirs abris élevés sans art. Simples et pieux, ils poussaient des cris quand ils sentaient bondir leurs cœurs en présence des cieux, ne connaissant ni les cités, ni les temples, ni les hymnes.

Un jour, à l’horizon, Khirôn vit surgir un peuple armé, couvrant les monts et noircissant les plaines, pareil aux bataillons des fourmis dans le creux des sillons. Des chevelures blondes flottaient sur leurs dos blancs. Leurs chants belliqueux ébranlaient les monts. Ils se jetèrent sur les pacifiques enfants de Pélasgos : les troupeaux furent dispersés, les airs s’obscurcirent d’un nuage de flèches ; les têtes bondissaient loin des troncs palpitants, les étalons traînaient les chars d’airain dans des fleuves de sang. Les Pasteurs, emportant les images géantes de leurs dieux, s’enfuirent éperdus sur les rivages ; quelques-uns, unissant des chênes, les mirent sur l’onde et allèrent chercher un autre univers ; tous disparurent, et alors commencèrent les destinées d’une race meilleure.